POURQUOI CETTE CRISE ? FOCUS SUR LE TCHAD

Mis à jour le 24/04/12

Les causes de cette crisesont multiples et variables en fonction de chaque pays :au-delà de facteurs conjoncturels à l’origine du déclenchement de la crise alimentaire (sécheresse, faible rendement agricole, comme en Mauritanie ou au Tchad, déplacements de population, conflits et violence comme au Mali), la situation de malnutrition que connaît la région du Sahel trouve également sa source dans une combinaison de causes sous-jacentes et profondes. Le Tchad est l’un des pays où la situation est la plus critique. Fort de son expérience dans son pays depuis 2008, le Secours Islamique France revient sur les causes de la crise alimentaire.

Causes profondes : Pauvreté chronique et faibles capacités de résilience de la population

Le Tchad a l’un des plus faibles indices de développement humain au monde (classé 183e sur 187 en 2011). La population, majoritairement rurale, souffre de pauvreté chronique, avec un faible accès aux services sociaux de base (eau, assainissement, santé), un niveau d’éducation relativement faible et de mauvaises pratiques d’hygiène. Le Kanem est l’une des régions les plus touchées par l’insécurité alimentaire chronique. Le Secours Islamique France y est implanté depuis 2010 et a pu mener un diagnostic sur l’état de la crise alimentaire dans la région.

 

Diagnostic du SIF : Les chiffres clés
- 73% de la population tchadienne vit en zone rurale, dépendant essentiellement de l’agriculture et de l’élevage.
 
- Sur 5,6 millions d'hectares de terres irrigables, seuls 7 000 sont irrigués (0,13%) et 2 000 sont aménagés, ce qui représente
  une part infime des terres arables.
 
- Dans la région du Kanem, le diagnostic réalisé par le Secours Islamique France révèle que les revenus de la population
  dépendent essentiellement de l’agriculture (1ère source de revenus pour 70% de la population enquêtée) et de l’élevage
  (1ère source de revenus pour 18% de la population). Pour l’ensemble des ménages (99%), l’alimentation est le premier
  poste de dépenses. Toute variation du rendement agricole a donc des conséquences particulièrement lourdes sur cette
  population.
 
- Au Tchad, plus d’1 million de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire sévère, 3,2 millions en insécurité
  alimentaire modérée, avec un taux de malnutrition aiguë globale de 15%.
 
- Les régions du Sahel telles que le Kanem souffrent plus particulièrement de la sécheresse et de déficit agricole et ont des
  niveaux de malnutrition infantile au dessus du seuil d’urgence de l’OMS, et cela depuis plusieurs années : taux de
  malnutrition chronique de 54,4% au Lac, 51,4% dans le grand Kanem 44,2% dans le Chari-Baguirmi et 41,1% dans
  le Guéra.
 
Sources : CILSS, Rapport final de la concertation régionale sur la situation alimentaire et nutritionnelle au Sahel et en Afrique de l’Ouest, mars 2012 ; Diagnostic du Secours Islamique France dans la région du Kanem, janvier-février 2012.

La crise alimentaire actuelle est révélatrice de la pauvreté chronique et de l’extrême vulnérabilité de la population tchadienne.

 

Causes conjoncturelles : Un déficit agricole aggravé par le retour massif de travailleurs de Libye
 
Différents facteurs sont venus aggraver les vulnérabilités préexistantes de la population tchadienne et les conséquences toujours ressenties de la crise alimentaire qu’avait déjà subie le pays à l’été 2010.
  • Une saison pluviale désastreuse et une forte baisse de la production agricole
Suite à des pluies faibles et mal réparties, la dernière récolte au Tchad (octobre 2011) a été très mauvaise. Le pays accuse une baisse de la production céréalière de 49%***  par rapport à l’année précédente.
Au Kanem, la période de soudure (période entre la fin des réserves alimentaires et la prochaine récolte) est arrivée exceptionnellement tôt : alors que la prochaine récolte n’est pas attendue avant septembre, les greniers sont déjà presque vides. Fin février, seuls 40% des ménages interrogés par leSIF déclarent posséder un stock céréalier. Pour ces 40%, le stock moyen déclaré est inférieur à 6 semaines, soit insuffisant pour attendre la prochaine récolte. 
  • Des niveaux de prix élevés

En raison de ses besoins d’importation de céréales, le Tchad est particulièrement exposé à l’augmentation des prix. Les niveaux des prix pratiqués sur les marchés sont globalement plus élevés que leurs niveaux de l’année passée à la même période. Les familles pauvres n’ont pas les moyens pour acheter de la nourriture en condition suffisante.
Les troubles sociopolitiques que connaissent actuellement la bande sahélienne et le Mali risquent également d’exercer de fortes pressions sur le marché régional et pousser davantage les prix à la hausse.
Au Kanem, face à la diminution des réserves alimentaires et à l’augmentation des prix, plus de 85% des ménages interrogés par le Secours Islamique France éprouveront des difficultés à accéder à la nourriture, d’avril jusqu’en août, avec un pic à 91% en juillet. Le taux de malnutrition aiguë globale, déjà très élevé, va s’aggraver pendant la période de soudure.

  • Les conséquences de la guerre en Libye

La guerre civile en Libye a entraîné le retour au Tchad de 90 000 travailleurs immigrés selon l’Organisation Internationale des Migrations (OIM), pour la plupart originaires de la région sahélienne du pays. Les familles subissent de plein fouet une baisse de revenus, alors même qu’elles ont plus de bouches à nourrir. Selon le Programme Alimentaire Mondial (PAM), de nombreuses familles tchadiennes sont endettées et ont commencé à vendre leurs biens pour faire face au retour des leurs.

 
 
Zoom sur : La dépendance de la production agricole à l’aléa climatique
La disponibilité céréalière tchadienne dépend à 98% de sa production intérieure, l’enclavement du pays rendant l’importation des denrées extrêmement chère. Le Tchad ne peut donc compter que sur ses propres forces productives pour se nourrir, celles-ci dépendant avant tout de la disponibilité en eau, soit de la pluviométrie. Les zones les plus vulnérables sont les régions sèches du Sahel.
 
La saisonnalité des pluies dans le Sahel tchadien ne permet de cultiver les céréales que durant l’été, les récoltes ayant lieu en octobre et novembre. Cette stricte saisonnalité de la production agricole est à la base du cycle alimentaire sahélien et d’une fluctuation constante des prix: après la récolte, la croissance subite de l’offre entraîne une diminution des prix, puis, au printemps, alors que les stocks se vident et que la demande progresse, les prix augmentent progressivement. Commence alors la saison de soudure (entre la fin des réserves alimentaires et la prochaine récolte), qui entraîne beaucoup de familles dans des régimes de survie en attendant la prochaine récolte.
La variabilité interannuelle des pluies, leurs irrégularités et leur imprévisibilité durant la saison humide comptent parmi les principales contraintes de l’agriculture sahélienne tchadienne. Cette dépendance à l’eau se traduit par une variabilité interannuelle des surfaces cultivées et des rendements agricoles, et donc de la production nationale (de l’ordre de +/- 15% autour de la moyenne). Or, une diminution de 15% de la disponibilité alimentaire peut se traduire par un doublement des prix.
 
Lors d’une année trop sèche, une période de soudure peut donc vite dégénérer en crise alimentaire.

 

 

***CILSS, Rapport final de la concertation régionale sur la situation alimentaire et nutritionnelle au Sahel et en Afrique de l’Ouest, mars 2012.

Voir aussi :

- QU'EST CE QUE LA MALNUTRITION ?

- INTERVENTION DU SIF AU TCHAD