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Vendredi, 29 janvier 2010

8h-10h – Arrivée en République Dominicaine
 
Arrivée en République Dominicaine, la seconde équipe du SIF a un objectif : rejoindre Port au Prince le plus rapidement possible et renforcer l’équipe déjà sur place depuis le 18 janvier. L’aéroport de Saint-Domingue est bondé, non pas de touristes, mais d’humanitaires venus de tous les pays. Nous rencontrons ainsi en l’espace d’une demi-heure les pompiers français, les secours italiens, une équipe de médecins canadiens et bien évidemment tous les organes des Nations Unies (PAM, OCHA, PNUD).
 
Plus de 400 personnes arrivent tous les jours et les vols sont organisés par le PAM qui assure la correspondance entre Saint-Domingue et Port-au-Prince. L’acheminement des humanitaires et du matériel est primordial dans ce contexte de chaos dans lequel le pays est plongé. Toutes les équipes sur place souhaitent partir, mais le PAM priorise les départs selon les besoins en Haïti. Ainsi partent d’abord les secours qui peuvent encore sauver les derniers rescapés. Grâce à Dieu, le SIF est sur la liste de départ et nous quittons Saint-Domingue à 10h. Jan, le coordinateur du PAM, nous souhaite une bonne mission. Dans l’avion, l’ambiance est joviale et les échanges d’informations sont intenses. Emotions et expertises s’entremêlent. Il y a ceux qui connaissent bien Haïti mais qui n’ont jamais dû gérer ce genre d’urgence et les autres maîtrisant les catastrophes naturelles mais ignorant la réalité haïtienne.
 
11h – Arrivée en Haïti
 
Une heure plus tard, nous arrivons en Haïti. Avec le décalage, nous gagnons une heure. Nous commençons l’atterrissage… Le triste spectacle d’une ville détruite s’offre à nous. Le bruit des conversations s’estompe pour laisser place à un long silence ; les visages se crispent et on ne distingue plus les experts car tout le monde est choqué par ce triste spectacle. La vue aérienne montre une ville en ruine, totalement détruite. De l’avion, on peu percevoir le chaos et des centaines de personnes dans la rue. La catastrophe est gigantesque pour une aussi petite île.

    

La vie reprend tout doucement…



Sur le chemin, Alex, le chauffeur haïtien recruté pour renforcer l’équipe, insiste pour nous montrer un quartier près du Champ de Mars. Les habitants attendent toujours l’aide… Ils l’on inscrit sur une pancarte en anglais « We need water, We need food, we are starving » (Nous avons besoin d’eau, nous avons besoin de nourriture, nous sommes affamés).

    



Je discute avec Madame Juliette qui m’explique qu’elle dort dehors devant les ruines de sa maison avec ses 3 enfants. 


 
Pourquoi dehors ?  Nous avons peur des secousses et si ça recommence je fais quoi ? Je ne peux pas risquer la vie de mes enfants, j’ai déjà tout perdu.
Elle me rappelle aussi qu’ils attendent l’aide dans le calme et j’insiste me dit-elle dans le calme. Nous ne sommes pas des sauvages, on attend mais il faut venir avec de l’aide car nous avons faim et soif.

 
Arrivés à l’ambassade, nous sommes très bien reçus par 2 représentants du Centre de Crise. On leur explique l’action du SIF et les distributions quotidiennes d’eau dans les quartiers de Pétionville, Carrefour et Fontanamara. Ils nous rappellent la vigilance en matière de sécurité et soulignent le fait que nous sommes présents dans des zones peu exploitées par les ONG. Nous expliquons notre collaboration avec une ONG locale « Children Voice Foundation » et l’importance d’intégrer les locaux à la reconstruction.
 
Dimanche 30 Janvier 2010
 
6h
 
Réveil très matinal. Pour plus d’efficacité, on sépare les équipes : Kaled accompagne Jonathan à la base UN pour participer aux clusters et rencontrer les bailleurs de fonds. J’accompagne Julien et Larbi pour une mission évaluations et une distribution d’eau.

    

Distribution d’eau à Carrefour

6h – Distribution d’eau

Avec Larbi et Julien, nous sommes accompagnés de Monsieur Ely Blaise, un ingénieur nommé de la ville de Carrefour. Le SIF intègre les acteurs locaux à tous les niveaux, de l’évaluation à la distribution. Il va nous aider à identifier les camps improvisés dans lesquels aucune aide n’est encore parvenue. Ils sont nombreux, nous en visiterons quatre.
 
Le premier est situé derrière un camp que nous approvisionnons déjà en eau. A quelques mètres de là, nous n’imaginons pas que la montagne abrite plus de 2.000 personnes apeurées qui s’y sont réfugiées.
 
Je demande à une femme pourquoi ici ? C’est tellement difficile d’accès !
« Quelques jours après la seconde qui a suivi le tremblement de terre, une rumeur concernant un éventuel tsunami s’est propagée. Du coup les gens effrayés ont décidé de se réfugier sur cette montagne. Maintenant, c’est difficile pour nous car nous n’avons pas d’aide et nous devons transporter les jerricans remplis d’eau. »

   

Camp improvisé sur la montage dans le quartier de Carrefour
 
Julien, qui se charge de l’évaluation, approche les « chefs du camp ». Les haïtiens sont assez bien organisés. Ils désignent un comité constitué d’hommes et de femmes. L’aspect genre est très important pour intégrer les femmes célibataires, les veuves… Julien approche les chefs pour débuter l’évaluation. Le premier contact est primordial car les gens sont dans l’attente et certains s’impatientent de ne pas voir l’aide arriver.
 
Julien explique aux gens la raison de notre présence ici. « Nous sommes là pour évaluer les besoins, observer les conditions de vies afin de faire écho de votre situation auprès des institutions qui peuvent fournir des tentes, des bâches et de la nourriture. Nous prenons note de vos recommandations et reviendrons vous voir d’ici quelques jours avec une réponse concrète.

 
Je me réjouis de savoir que nous serons là dans quelques jours. Julien m’explique néanmoins que nous attendons des financements de bailleurs tels que l’UNICEF car nous sommes l’une des rares ONG à travailler sur fonds propres. Il faut recevoir des fonds institutionnels pour développer l’aide aux populations.
 
Fond propres, fonds institutionnels, concept notes, clusters… autant de termes que l’on ne peut expliquer à cette population qui attend simplement notre aide.
 
Patience, force et dignité… Mais où trouvent-ils cette force ?
Nous visiterons 3 camps au total et tous les habitants ont le même discours : « Nous attendons l’aide depuis plus de 10 jours et nous continuons à remercier le bon Dieu d’être vivants ». Les haïtiens sont très croyants.
 
Malgré l’aide, certains camps en sont totalement dépourvus. Baliser le terrain est primordial, surtout que nous sommes toujours en phase de première urgence, 2 semaines après la catastrophe. Les politiques mettent en avant la reconstruction mais si l’aide première telle que l’approvisionnement en eau, en nourriture et en kits d’hygiène ne touche pas encore tous les sinistrés, l’aide d’urgence doit vraiment se poursuivre.
 
14h-17h – Réunion cluster avec l’UNICEF
 
Ça tombe bien, on vient d’apprendre qu’une réunion d’urgence « Coordination du cluster water sanitation » (eau et assainissement) se tiendra dans 30 min avec l’UNICEF. La représentante de UNICEF New-York est là et c’est tant mieux. Elle connaît déjà le SIF à travers notre distribution d’eau gérée avec DINEPA (société d’eau potable haïtienne) et l’UNICEF.

 
La réunion commence. Care, Oxfam, Save the Children et MSF gèrent les camps de plus de 10.000 personnes. L’objectif est de signaler à l’UNICEF quelles sont les listes dépourvues d’aide. Julien prend la parole et explique les évaluations faites ce matin, les camps visités, le besoin des populations. En espérant recevoir les financements, nous seront en charge de plusieurs camps dont des camps visités ce matin et pourront apporter l’aide aux populations sinistrées. Nous discutons avec une ONG canadienne « Global assistance médical », Matt - le responsable - me dit que si on prend en charge un camp, ils peuvent venir en aide au niveau médical pour les petites interventions, blessures légères, traitement des diarrhées…les synergies se forment et la coordination aussi.
 

 
Témoignages : Madame Tyty et sa famille au camp de l’université Aventis
 

 
En face de la réunion improvisée avec l’UNICEF, un groupe d’haïtiens nous regarde en se demandant ce que l’on fait là. Madame Tyty nous propose de nous assoire. Elle a dû avoir pitié de nous ; la réunion semble s’éterniser. Je la rejoins pour la remercier pendant que le sacré Larbi s’arme de son appareil.
J’ai envie de partager avec vous cet échange avec Madame Tyty et sa famille.
Elle m’explique qu’elle a 3 filles et un garçon ; ils avaient une bonne situation : ils étaient propriétaires de leur maison, et son mari occupait un poste à l’aéroport. Depuis le sinistre et l’arrêt des vols, il ne travaille plus. « Ce n’est pas facile » m’explique Madame Tyty, tout en continuant à préparer à manger. J’engage une discussion sur les banalités de la vie : la famille, le mariage… Madame Tyty nous a bien fait rire et oublier un peu cette situation chaotique. Cette discussion m’a aussi rappelé qu’en venant en aide aux victimes, une partie de nous s’enrichit.
 

 
Demain, la suite de l’acheminement de l’aide se fera aux camps visités la veille, avec Kaled et Julien sur le terrain. Jonathan et moi nous échangeons les rôles pour des casquettes institutionnelles. 
 
Chapeau aux équipes sur place !


Mardi, 2 février 2010
 
6h30 – Relation avec le reste du monde
 
Réveil habituel : pas de douche, les moustiques ont élus domicile dans nos tentes et nos corps sont pleins de « mosqitos besos ». Mais bon, il s’agit de petits détails quand on pense à la journée qui nous attend.

Dans les jardins de l’ambassade, où le Secours Islamique France bénéficie d’une logistique impressionnante.
La Fondation des casques rouges a mis à notre disposition des téléphones et un ordinateur haut débit afin d’assurer les communications avec le reste du monde. En mission, il est important de pouvoir accéder à ses mails, assurer à distance son travail avec le siège, mais aussi et surtout appeler et rassurer nos proches. C’est notre petit bonheur du matin : partager avec le siège, appeler sa famille.
7h30 – Départ pour le quartier de Delmas 83
 
Julien part avec Mamat pour baliser le terrain, assurer la sécurité et accueillir l’équipe de médecins de « Global medical assistance » rencontrée quelques jours auparavant.
Ils nous ont expliqué qu’ils peuvent détacher des équipes pour venir en renfort aux ONG au niveau médical. Ils prodiguent les premiers soins et font de la prévention en matière d’hygiène. L’humanitaire c’est aussi la coordination, les synergies de compétences. Leur unique souci est la question de la sécurité. Nous leur garantissons la sécurité, un endroit propre dans lequel ils peuvent consulter et ils viennent.
Julien, le chargé de programmes du SIF, a trouvé l’endroit. En effet, lors des évaluations, beaucoup de gens se plaignaient de petites blessures, de fièvre chez les enfants, etc.
Ce matin, nous arrivons dans le quartier de Delmas 83. Nous rencontrons l’équipe de médecins composée de Senn, Mike, Anneth, Julie. Ils sont très professionnels et ont l’habitude de gérer ce type de situation.
Nous sommes là pour faire en sorte que les visites se passent au mieux. Julien et Mamat étaient déjà sur le site à notre arrivée ; ils venaient de trouver une maison disposant d’une cour pour les visites.

Julien organise et explique aux personnes que tout le monde sera reçu mais que les femmes avec enfants et les personnes âgées sont prioritaires.
Témoignage
Madame Janine Raymond est la propriétaire des lieux. « Grâce à Dieu - me dit-elle - ma famille et ma maison n’ont pas été touchées ». Janine a 75 ans et a toujours vécu à Delmas. Au nom du SIF, je la remercie de mettre à disposition sa maison. « C’est normal, il faut s’entraider dans cette situation » dit-elle. Elle sourit en regardant tout ce monde qui s’organise dans cette petite cour qui est la sienne.
Senn, l’un des médecins, nous demande si nous pouvons traduire et suivre avec lui les visites avec les équipes. La plupart des personnes sont des enfants et des femmes. Les tickets sont distribués, les personnes attendent dehors dans le calme. L’ambiance est aussi chaleureuse que les rayons de soleil qui illuminent le visage radieux de Janine.

Nous verrons ainsi près de 150 personnes tout au long de la journée. Parmi elles, beaucoup de mamans inquiètent pour leurs bébés. La majorité souffre de diarrhées, de fièvre et de maux de ventre. Après quelques entretiens, nous constatons que les maux de ventre sont souvent causés par la faim. La plupart des personnes n’ont pas mangé depuis 3 ou 4 jours.

Les mamans allaitent, mais comme elles n’ont pas toujours accès à l’eau, elles boivent de l’eau non potable et cela cause dans la plupart des cas de la diarrhée chez les enfants. Les médecins donnent des médicaments anti-fièvre et procurent les conseils d’hygiène aux mères.
Tous les enfants sont bien habillés… Julien, qui était au camp, me dit que toutes les mamans étaient occupées à laver et préparer leurs enfants. « Tu sais – me dit-il – ta maman ne t’aurait jamais envoyé à la visite médicale sale. Ici c’est pareil. Les gens sont dignes, même s’ils dorment dans des tentes et n’ont rien mangé depuis quelques jours.

Les personnes âgées se plaignent de douleur dans tous le corps. Beaucoup étaient bloqués sous les décombres et ils dorment à même le sol ; ils sont courbaturés.
Pour d’autres, la visite médicale est un prétexte pour venir parler. Pierre, 25 ans, ne dort plus depuis quelques jours. Depuis le tremblement de terre, il a peur que la terre tremble à nouveau. Quand il s’endort, il fait des cauchemars et revit la catastrophe. En plus, comme il dort dans la rue, il y a le bruit des vendeurs, des voitures…
 
Témoignage de Dunia OUMAZZA en mission pour Haïti du 29 janvier au 7 février 2010

Urgence HAÏTI